VOUS TROUVEREZ CI-APRÈS UN EXEMPLE DE COMMENTAIRE COMPOSÉ RÉDIGÉ.

Il est composé d'une introduction, d'une première partie développée en 5 paragraphes et se terminant sur une transition, d'une seconde partie développée elle aussi en 5 paragraphes et d'une conclusion.

Le texte étudié est la première scène d'une pièce de théâtre :
La guerre de Troie n'aura pas lieu (Jean Giraudoux, 1935), du tout début à "Jusqu'au lavoir qui affirme !"

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II – COMMENTAIRE COMPOSÉ

 

            Le théâtre est né en Grèce au Ve siècle avant JC, pendant l'antiquité. Au cours des siècles, il n'a cessé d'évoluer et de se renouveler. L'extrait qui nous est présenté ici date de 1935, au milieu du XXe siècle. Il s'agit de la scène d'exposition de La Guerre de Troie n'aura pas lieu, pièce écrite par Jean Giraudoux. Comment l'auteur parvient-il à répondre aux attentes du spectateur tout en le surprenant ? Nous constaterons dans un premier temps que ce début de pièce présente bien les caractéristiques attendues d'une scène d'exposition. Nous verrons ensuite comment cette scène est toutefois originale.

 

          La scène répond aux attentes d'une scène d'exposition. Cela signifie qu'elle présente les personnages, le cadre spatio-temporel et l'intrigue. Le spectateur découvre en effet le nom des personnages qu'il voit sur scène. Dès les deux premières répliques, les femmes se nomment mutuellement par leur prénom. « La guerre de Troie n'aura pas lieu, Cassandre ! » dit l'une ; « Je te tiens un pari, Andromaque. » répond l'autre. Ainsi, d'une manière artificielle et très courante au théâtre, chaque personnage est identifié à voix haute pour le spectateur. Au théâtre, il y a en effet une double énonciation : le personnage parle mais en vérité c'est le dramaturge qui s'exprime. Ceci crée une double destination du langage : les personnages se parlent entre eux mais aussi et surtout au public, afin qu'il ait des repères et comprenne qui est qui. Dans la scène, il est question également d'autres personnages, même s'ils ne sont physiquement pas présents : Hélène, Hector et Pâris.

          De plus, le spectateur comprend les liens qui unissent les personnages et en apprend davantage sur eux. Cassandre et Andromaque se tutoient. « Je te tiens un pari » dit Cassandre, avec « te », pronom personnel de la deuxième personne du singulier. Les deux femmes présentes sur la scène se connaissent donc bien. Pourtant elles ne sont pas d'accord. La reprise des mêmes phrases, une fois à l'affirmative, une fois avec la négation, le montre. C'est le cas par exemple de « on la lui rendra » « On ne lui rendra pas ». Les deux femmes ne s'entendent pas. Andromaque reproche à Cassandre d'être toujours pessimiste. Elle lui demande :« Cela ne te fatigue pas de ne voir et de ne prévoir que l'effroyable ? ». Dans cette phrase interrogative, on perçoit nettement la critique d'Andromaque, qui, elle, est fatiguée de l'attitude de Cassandre. Cette dernière a donc l'habitude de prévoir des catastrophes. En outre, dans les répliques d'Andromaque, on observe de nombreuses phrases négatives : « Je ne sais pas ce qu'est le destin » puis « Je ne comprends pas les abstractions » et enfin « Je ne te comprends pas ». Le dialogue entre les deux femmes paraît ainsi très difficile voire impossible. Les autres répliques vont dans le même sens car Andromaque dit « Laisse-le dormir » avec un verbe à l'impératif qui impose presque à Cassandre de se taire, et ensuite « Pleine de quoi ? », interrogative qui traduit une incompréhension de sa part. Andromaque et Cassandre semblent donc vraiment opposées. Notons enfin que Cassandre a visiblement l'ascendant sur Andromaque puisque la femme d'Hector dit : « Ne me fais pas peur, Cassandre. »

          Toujours à propos des personnages, le spectateur apprend également que « Pâris ne tient plus à Hélène », qu'il s'agit donc d'un couple mais semblant toucher à sa fin. On comprend aussi qu'Andromaque est l'épouse d'Hector et qu'elle est enceinte de lui par les répliques suivantes : « Cette femme d'Hector va avoir un enfant ? » « Oui, je vais avoir un enfant. ». Quant à Hector, c'est un guerrier victorieux. L'adjectif « victorieux » le prouve, ainsi que la connotation des « trompettes » qu'on entend pour fêter une victoire. Comme pour toute scène d'exposition, le début de la pièce présente donc bien les personnages.

          Il nous donne d'autre part des informations sur le cadre spatio-temporel. On sait que l'histoire se passe à Troie, au printemps, car une jeune servante indique « Troie touche aujourd'hui son plus beau jour de printemps. ». Le spectateur apprend également qu'une guerre ayant duré trois mois vient de finir puisqu'Hector rentre victorieux après être parti « voilà trois mois ». Si ce spectateur connaît l'Iliade d''Homère, il sait que cette guerre de trois mois n'est pas la fameuse guerre de Troie, celle-ci ayant duré plus de vingt ans. En revanche, il comprend bien, grâce à l'onomastique, que l'histoire s'inspire de la guerre de Troie et se place avant qu'elle n'ait lieu, du côté troyen. L'expression utilisée par Andromaque est significative : « Cet envoyé des Grecs » est introduit par un déterminant démonstratif. Andromaque qui s'exprime n'est donc pas grecque elle-même mais troyenne. Elle méprise Hélène, l'évoquant comme un objet. Elle parle justement de « sa petite Hélène » avec le déterminant possessif se rapportant à l'envoyé des Grecs. Par conséquent, Hélène est grecque ; Andromaque et Cassandre sont troyennes. L'histoire a lieu à Troie et sera présentée du point de vue troyen.

          Par ailleurs, l'intrigue de l'histoire est dévoilée dès cette première scène. Il s'agit de savoir si la guerre de Troie aura lieu ou non. L'opposition entre Cassandre et Andromaque ne porte que là-dessus et occupe les premières répliques. Le début se fait « in medias res » c'est-à-dire que le spectateur a l'impression d'arriver au milieu d'une conversation en cours. Le point d'exclamation qui clôt la première réplique le prouve et indique que cette discussion est animée. Même si aucune didascalie n'accompagne la phrase « La guerre de Troie n'aura pas lieu, Cassandre ! », on devine de la colère et de l'inquiétude dans cette exclamation. Cassandre reprend toujours les phrases d'Andromaque à l'identique pour affirmer le contraire. Elle dit donc avec certitude : « Et la guerre de Troie aura lieu. », prévoyant l'avenir avec un verbe conjugué au futur. Andromaque concède que ce pourrait être envisageable : « Oui, si Hector n'était pas là ! » utilisant de nouveau une phrase exclamative. L'enjeu de la pièce est donc clairement exprimé : il s'agit d'éviter la guerre entre les Troyens et les Grecs. Pour cela, il faudrait rendre Hélène aux Grecs par l'intermédiaire de leur envoyé. Andromaque compte sur Hector pour résoudre ce problème et éviter que le conflit n'ait lieu. De son côté, Cassandre évoque le destin en marche. Selon elle, cette guerre sera inévitable. Dans ce début de pièce, nous avons donc toutes les caractéristiques attendues : des indications sur les personnages, le lieu, l'époque et l'intrigue. Voyons désormais en quoi cette scène est originale.

 

           Ce début de pièce surprend le spectateur. Il s'agit en effet d'une reprise d'un thème connu mais traité de façon originale. Voyons d'abord la matière de l'histoire, que le dramaturge reprend mais déforme. Jean Giraudoux se saisit du célèbre mythe de la guerre de Troie. L'onomastique le montre. Les personnages sont conformes à ce qu'on attend : Andromaque et Hector sont mariés, Cassandre est une prophétesse, Pâris a enlevé Hélène. La présence d'une jeune servante « qui passe avec du linge », comme l'indique la didascalie, fait aussi référence aux lavoirs, symbole de la paix dans le texte originel de l'Iliade. La matière de base qui a inspiré Jean Giraudoux est donc conforme aux attentes. Toutefois Andromaque est enceinte alors que l'Iliade met en scène son fils. Ici l'enfant n'est pas encore né. De même, Giraudoux envisage que cette fameuse guerre de Troie n'ait pas lieu. Le titre et les répliques sont donc formulés de manière à ce que le doute s'installe chez le spectateur. Celui-ci est intrigué. D'autre part, Homère se plaçait du côté grec pour raconter l'histoire alors que le dramaturge prend ici un point de vue troyen. Mieux encore, celui-ci fait parler deux personnages féminins qui n'ont aucun pouvoir officiel. Elles ne sont ni des guerriers ni des personnes capables de prendre la décision de déclencher ou non la guerre. Le choix de débuter la pièce par leur conversation peut donc paraître étonnant.

           En vérité, l'auteur semble vouloir brouiller les pistes afin d'obliger le public à s'interroger, à mener sa propre réflexion face à ce qu'on lui donne à voir et à entendre. La didascalie initiale fixant le décor est d'ailleurs énigmatique : « Terrasse d'un rempart dominé par une terrasse et dominant d'autres remparts ». Les remarques de Cassandre sont aussi parfois difficiles à comprendre. Quand la servante affirme « Troie touche aujourd'hui son plus beau jour de printemps. », Cassandre réagit en disant « Jusqu'au lavoir qui affirme ! ». Elle rapproche donc l'insouciance d'une femme du peuple avec les affirmations qui « arrachent » le destin à son sommeil. Ayant recours à la métaphore du tigre, Cassandre se fait donc le relais de Jean Giraudoux et reste mystérieuse quant à ses pensées et à son raisonnement. Andromaque, elle, correspond plutôt au spectateur qui s'interroge et ne comprend pas. Elle-même le dit de façon explicite : « Je ne te comprends pas. ».

          Cette lecture symbolique que l'auteur impose d'emblée invite donc à réfléchir aux symboles, à ce qui existe derrière les apparences. Reprenons la didascalie initiale. Il s'agit d'une cascade de précisions avec de perpétuelles répétitions des mots « Terrasse/une terrasse », « d'un rempart/d'autres remparts », « dominé/dominant ». De manière symbolique, on se place donc dans les hauteurs, avec de la distance pour observer et non pas dans l'intention d'agir. Le destin est « la forme accélérée du temps », comme le définit Cassandre. Il ne se maîtrise pas, tel un « tigre », pour reprendre la métaphore poétique employée par la prophétesse. Ceci expliquerait pourquoi les personnages sont placés dans les hauteurs, assistant impuissants, comme les spectateurs, au déroulement de l'histoire. La pièce correspond donc à une mise en abyme du destin qui contrôle l'Histoire. Les « remparts » font quant à eux sans doute référence à la guerre et au système de défense mis en place par Andromaque et Hector qui vont tout faire pour éviter le conflit. Enfin le procédé stylistique de la répétition est lui aussi symbolique. Il signifie que l'histoire sans cesse se répète. Au « printemps » évoqué par la servante, succède ensuite l'été puis l'automne et l'hiver. A la paix, succède donc la guerre, de façon inévitable. La pièce se place par conséquent sous le signe de la poésie et du symbole.

          De plus, Jean Giraudoux exploite cette dimension symbolique. Il la met en place pour faire réfléchir le spectateur de son époque au contexte politique. En 1935, on assiste en effet à la montée des nationalismes. Une prochaine guerre mondiale menace. La prise en compte de l'actualité contemporaine se devine à travers les répliques suivantes : « Quand il est parti, voilà trois mois, il m'a juré que cette guerre était la dernière. » avec Cassandre répondant « C'était la dernière. La suivante l'attend. ». Or la première guerre mondiale ne devait pas durer longtemps et lorsqu'elle s'est terminée, on l'a appelée « la der des ders » pour montrer qu'on espérait qu'elle serait la dernière. Cette façon d'évoquer ce qui se passe pendant l'antiquité, à Troie, ne peut donc que rappeler au public de 1935 les promesses faites après 1918. Le langage employé par les deux femmes ressemble d'ailleurs à un langage courant du XXe siècle et non pas au langage soutenu qu'on pourrait attendre de la part de nobles de haut rang. Par exemple Andromaque déclare à propos d'Hector « Je pense qu'il aura son mot à dire », ce qui est une manière de s'exprimer très simple, familière et non élégante.

          De surcroît, Jean Giraudoux fait preuve d'originalité en donnant une tonalité comique à une tragédie. Tous les ingrédients d'une tragédie au sens classique du terme sont en effet d'emblée réunis : il y a des personnages mythologiques et un problème politique qui engage gravement l'avenir d'une nation, impliquant de lourdes décisions à prendre et des déchirements intérieurs. Pourtant le ton est très léger. Cassandre veut faire « un pari » avec Andromaque à propos de la guerre comme si c'était une broutille. Elle s'adresse aussi à elle avec beaucoup de désinvolture, presque de l'insolence ou de l'agressivité. « Figure-toi un tigre. Tu la comprends, celle-là ? » La dislocation de la phrase avec le « celle-là » reprenant la métaphore est une tournure orale et familière qui n'est pas digne de Cassandre, fille du roi de Troie. Ceci fait évidemment sourire le spectateur et allège le poids de l'intrigue. Ainsi Jean Giraudoux, innovant à partir d'un texte fondateur de la culture occidentale, renouvelle à sa manière le théâtre et la tragédie.

 

          En conclusion, ce début de pièce annonce bien au spectateur ce qu'il découvrira par la suite. Il présente les personnages et leurs relations, il fixe le cadre spatio-temporel et il indique le sujet de l'histoire. Il donne également le ton de l’œuvre avec un renouvellement du genre théâtral de la tragédie, autant sur le fond que sur la forme. Après cette entrée en matière, le public souhaite évidemment en savoir plus. Il se demande si le titre sera réalisé, c'est-à-dire si Jean Giraudoux propose réellement une réécriture de l'histoire d'Homère avec une guerre de Troie qui n'aura finalement pas lieu. Il a hâte aussi de découvrir physiquement les autres personnages dont on lui a parlé dans cette scène d'exposition, notamment Hélène et Hector, personnages assurément clefs pour la suite de la pièce. Ainsi Jean Giraudoux réussit parfaitement son objectif et éveille notre intérêt, dès les premières répliques échangées.