Copiedouble met à votre disposition quelques analyses de textes très célèbres.

 

Destinées à tous, ces analyses ne sont pas forcément pensées pour entrer dans le cadre des dernières directives pour le bac de français.

 

Ici il s’agit de deux analyses.

 

L'une est un rapide commentaire pour tous les curieux qui souhaitent découvrir le texte. L'autre est plus technique.

 

Bonne découverte !

 

 

Vous trouverez ci-après l'intégralité du texte La Rose et le Réséda, poème écrit par Louis Aragon et paru pour la première fois en mars 1943.

 

Le poème La Rose et le Réséda (Louis Aragon, 1943)
 

La Rose et le Réséda
 

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fût de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfèrent les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
A la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

 

Remarque : si vous hésitez sur la façon de lire ce poème, nous vous conseillons le site LES PROS DE L'ÉCRIT qui explique dans une vidéo (gratuite) comment compter les syllabes : https://lesprosdelecrit.fr/

Rapide commentaire du texte

Deux vers qui reviennent sans cesse comme un refrain (« Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas »), une histoire de « belle / Prisonnière » qu'il faut libérer, des mots qui sonnent comme des comptines, proverbes ou extraits de contes populaires... ce poème paraît bien léger.

Pourtant il célèbre le courage des hommes qui réussirent à dépasser leurs petites convictions personnelles de religion et de politique afin d'oeuvrer ensemble pour une noble cause : la libération de la France pendant l'Occupation durant la seconde guerre mondiale. Communistes et catholiques se retrouvèrent en effet pour combattre, pour souffrir et pour mourir ensemble dans l'espoir de jours meilleurs. Louis Aragon leur rend ici un hommage dans ce poème écrit en 1943 alors que lui-même était communiste et clandestin.

Ainsi la « rose », c'est le rouge qui symbolise le communiste anticlérical, celui qui ne croit pas au ciel, c'est-à-dire à Dieu. Le « réséda » est au contraire la couleur blanche qui représente la noblesse.

Ce poème fut publié une première fois en 1943 puis de nouveau en 1944, cette fois avec la dédicace suivante : « A Gabriel Péri et d'Estienne d'Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru ». Quatre hommes. Deux communistes et deux catholiques. Tous des résistants, tous morts fusillés par les Allemands.

Appel au rassemblement pour la liberté, hommage aux résistants emprisonnés et tombés pour la France, ce poème très célèbre est porteur aussi d'espoir : celui de retrouver un jour la joie dans les foyers.

 

Analyse détaillée du poème

Le titre

La « rose » et le « réséda » sont deux végétaux. La rose est une fleur chargée de nombreux symboles ; elle connote bien sûr le printemps, l'amour, la beauté éphémère... mais aussi, tout simplement, la couleur rouge ou bien rose. Le réséda, lui, est une plante qui présente des sortes de grappes de fleurs, jaunes ou blanches.

On note également dans ce titre une association faite entre ces deux végétaux-symboles grâce à la construction syntaxique et aux sonorités des mots employés. Ainsi nous avons deux groupes nominaux constitués chacun d'un article défini suivi d'un nom (« la rose » ; « le réséda »). D'autre part, ces deux groupes nominaux sont reliés par la conjonction de coordination « et » qui permet de coordonner deux éléments, c'est-à-dire de les rapprocher, donc de les comparer, avec leurs points communs et leurs différences. Enfin les mots « rose » et « réséda » se ressemblent, chacun commençant par la lettre R et possédant en troisième position un S. Tout vient donc bien suggérer, dès le titre, l'idée d'une ressemblance malgré des différences.

Etude de la forme et musicalité

Dès la première lecture, on est frappé par la présence de deux vers qui reviennent fréquemment : « Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas ». Ce distique (un distique = un ensemble de deux vers) correspond donc à une sorte de refrain.

Le fait qu'un poème puisse donner l'impression d'être une chanson n'a rien de surprenant. En effet, selon la mythologie grecque, les premiers poètes furent le dieu Apollon et le mortel Orphée, qui s'accompagnaient d'une lyre. Dans la réalité, les poètes de l'Antiquité avaient justement cette habitude de s'accompagner d'une lyre. Des siècles plus tard, au Moyen Age, les poètes étaient encore des artistes complets, s'accompagnant d'instruments de musique pour réciter leurs chants. La présence d'un refrain au sein d'un poème vient donc s'inscrire dans une longue tradition.

Un texte musical

Ce texte musical n'est pourtant pas une chanson mais un poème. Il n'a pas besoin d'accompagnement musical ; il contient lui-même une musicalité.

Cette musicalité se retrouve dans le refrain, on l'a vu, mais aussi de manière générale, sur le plan de la forme. En effet il présente des vers rimés (= qui riment) en rimes croisées (= alternées), ces rimes étant réduites au nombre de deux : en [el] et en [a]. Ceci permet de mémoriser le poème plus facilement et lui confère une certaine musicalité. Ce sont de plus des vers réguliers (= tous de la même longueur quand on compte les syllabes), en 7 syllabes ; on les appelle donc des heptasyllabes. Ce mètre-là est relativement peu employé, du moins en comparaison avec d'autres mètres comme l'alexandrin (= 12 syllabes), le décasyllabe (= 10 syllabes) et l'octosyllabe (= 8 syllabes). Impair, l'heptasyllabe donne lui aussi une certaine musicalité au texte.

Par ailleurs les effets de sonorité sont multiples à l'intérieur du texte, avec notamment les allitérations (= répétitions d'un même son consonne). Un vers tel que « Vive et qui vivra verra » au vers 18 présente ainsi une allitération en [v] ; le vers 24 présente, lui, une allitération en [k].

Aux vers 35 et 36 l'anaphore (= répétition d'un même mot ou groupe de mots en début de vers ou strophes) de « Lequel » ou aux vers 22 et 23 l'anaphore de « Fou qui » vont dans le même sens. Il en est de même pour la répétition, évoquée directement au vers 45 (« Répétant le nom ») ou utilisée dans le texte, comme dans « Il coule il coule et se mêle » (vers 51). Tous ces éléments créent un réseau d'échos, de sons qui se répondent les uns aux autres, donc une certaine musique.

La notion de chant n'est justement pas étrangère au poème puisqu'on trouve le verbe « rechantera » au vers 60 ainsi que l'insecte bruyant « Le grillon » (vers 60) et les instruments de musique « flûte », « violoncelle » au vers 61. Avec ces éléments ajoutés au refrain, aux rimes, aux allitérations, anaphores et répétitions, l'ensemble du poème s'apparente donc bien à une chanson.

La structure du poème

Afin de mieux étudier la progression de ce poème de 64 vers sans strophe, on peut le diviser en s'appuyant sur cette sorte de refrain observé plus haut, le distique « Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas », qui viendra déterminer chaque début de section. On obtient alors un partage du poème en 11 sections c'est-à-dire en 10 sizains (un sizain est le nom donné à une strophe de 6 vers) terminés par 1 quatrain (un quatrain = une strophe de 4 vers).

Les 10 sizains sont donc :
- « Celui qui croyait au ciel » vers 1 jusqu'à « Et lequel guettait en bas » vers 6
- « Celui qui croyait au ciel » vers 7 jusqu'à « Et l'autre s'y dérobât » vers 12
- « Celui qui croyait au ciel » vers 13 jusqu'à « Vive et qui vivra verra » vers 18
- « Celui qui croyait au ciel » vers 19 jusqu'à « Au coeur du commun combat » vers 24
- « Celui qui croyait au ciel » vers 25 jusqu'à « L'autre tombe qui mourra » vers 30
- « Celui qui croyait au ciel » vers 31 jusqu'à « Lequel préfèrent les rats » vers 36
- « Celui qui croyait au ciel » vers 37 jusqu'à « Passent de vie à trépas » vers 42
- « Celui qui croyait au ciel » vers 43 jusqu'à « Même couleur même éclat » vers 48
- « Celui qui croyait au ciel » vers 49 jusqu'à « Mûrisse un raisin muscat » vers 54
- « Celui qui croyait au ciel » vers 55 jusqu'à « Le grillon rechantera » vers 60

Le quatrain final est constitué de la portion suivante :
- « Dites flûte ou violoncelle » vers 61 jusqu'à « La rose et le réséda » vers 64

Remarque : on pouvait aussi faire le choix d'exclure de chaque sizain le refrain pour obtenir alors un distique et un quatrain. Pour des raisons pratiques dans cette étude, nous nous référerons toutefois ici à des sizains.

Le thème apparent du texte

Le poème semble parler de deux hommes qui viennent libérer une « belle / Prisonnière » (vers 3 et 4) en haut d'une tour puisqu'il faut, pour l'atteindre, utiliser une « échelle » (vers 5). Ceci nous fait bien sûr aussitôt penser aux contes populaires qui se passent au Moyen Age, avec deux preux chevaliers venus libérer une belle princesse enfermée dans un donjon. Les mots « Du haut de la citadelle » vers 27 le confirment ainsi que le champ lexical de la prison : « sentinelle » (vers 28), « prison » (vers 33) et des conditions de vie qui y sont associées avec « grabat » (vers 34) et « les rats » (vers 36). En outre, les références à la religion (« ciel » dans le refrain, « chapelle » vers 11, « glas » vers 40) paraissent évoquer le catholicisme triomphant du Moyen Age. Même le mot « trépas » (vers 42) appartient au vocabulaire médiéval comme le « fou » (vers 22-23) peut faire penser au "fou du roi" de cette époque.

D'autres éléments nous invitent à considérer ce poème comme un conte populaire. Ainsi les vers « La sentinelle tira / Par deux fois et l'un chancelle » aux vers 28-29 rappelle le conte du Chaperon rouge. Ce conte populaire repris par Charles Perrault au XVIIe siècle précise en effet : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. ». De surcroît le vers 18 reprend le proverbe « Qui vivra verra ». Quant au « grillon » mentionné au vers 40, il symbolise plusieurs notions, dont la paix au foyer selon une représentation populaire. Le poème s'inscrit donc bien dans un contexte populaire et médiéval.

S'agit-il pour autant d'une simple histoire de belle prisonnière à délivrer ? En vérité, le contexte de parution est à étudier pour comprendre réellement ce texte, à savoir mars 1943. A cette époque, l'oppression des occupants allemands était réelle et la censure très importante. Louis Aragon était lui-même clandestin et se cachait. L'apparente simplicité du poème correspond donc à une précaution nécessaire pour éviter d'être arrêté et tué.

Le thème réel du texte

Ce poème fut publié une première fois dans la revue Le Mot d'Ordre en mars 1943. Il fut ensuite publié de nouveau en 1944, dans un recueil intitulé La Diane française, cette fois avec la dédicace suivante : « A Gabriel Péri et d'Estienne d'Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru ». Or ces quatre hommes étaient tous des résistants, tous morts fusillés par les Allemands.

Gabriel Péri était député communiste. Il fut fusillé en décembre 1941. Honoré d'Estienne d'Orves était officier de marine et catholique convaincu. Résistant, il fut fusillé en août 1941. Guy Môquet était le fils d'un député communiste. Agé de 17 ans, il fut fusillé en octobre 1941. Gilbert Dru était un résistant lui aussi, et catholique fervent. Il fut fusillé en juillet 1944. Il avait vingt-quatre ans.

On comprend alors mieux le propos d'Aragon dans son poème. Les chevaliers sont en vérité les résistants et la belle à libérer est en fait la France ! Ainsi la France est représentée sous la forme d'une personne. Cette métaphore filée (= une métaphore qui court sur l'ensemble du texte), ou plutôt cette personnification (puisque la France est ici une femme), est même une figure de style particulière, qui a un nom : c'est une allégorie.

Tous les hommes fusillés de la dédicace (Péri, d'Estienne d'Orves, Môquet et Dru) ont pour point commun la lutte pour la liberté de leur pays. Pourtant on peut les distinguer selon leurs convictions : les uns sont catholiques fervents, (d'Estienne d'Orves et Dru), les autres communistes (Péri et Môquet). Les uns croient donc à Dieu, au « ciel », les autres non. Le refrain « Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas » prend alors toute sa signification. Même le titre est à relire selon cette perspective. La rose représente le rouge, couleur phare du communisme ; le réséda incarne la couleur blanche, celle de la noblesse et de la religion catholique.

En France, la tradition veut qu'on soit d'un côté ou d'un autre : ou bien du côté de la noblesse, du catholicisme et de convictions politiques de droite, ou bien du côté du peuple, de l'anticléricalisme (= la haine des curés) et de convictions politiques de gauche. L'opposition « Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas » ou « réséda / rose » n'est donc pas nouvelle. Au contraire, Louis Aragon ne fait ici que reprendre des préjugés bien ancrés dans les mentalités françaises et qui se sont manifestés de façon exacerbée pendant l'Affaire Dreyfus, quelques années auparavant. Pourtant ici il s'agit de dépasser ce clivage et de réunir les deux clans pour une même cause : la libération de la France, ce pays que tous les résistants, communistes ou catholiques, aiment comme une femme. C'est ainsi que dans sa dédicace de 1944, Aragon mêle les noms des communistes et des catholiques et les croise, sans former deux clans opposés.

Un hommage au combat collectif

Maintenant que le projet d'Aragon est éclairci, on va pouvoir reprendre le texte et mieux l'apprécier. Voyons d'abord toutes les marques de solidarité contenues dans le poème.

Outre le refrain qui présente un duo, les deux compagnons sont désignés par « Tous deux » au vers 3 mais aussi par « Tous les deux » vers 15, « Et tous les deux » vers 17, ou encore par « aucun des deux » vers 46. Indissociables, ils forment une équipe, un ensemble où chacun complète l'autre. Cela se voit dans l'emploi répété du pronom « lequel » aux vers 5 et 6 mais aussi aux vers 33, 35 et 36 ; également dans l'utilisation des pronoms « l'un » (vers 11, 29) et « l'autre » (vers 12, 30, 35), employés de surcroît dans un même vers (57) à la fin du texte.

L'harmonie est totale car il s'agit bien de libérer la France. L'adoration commune pour le pays est exprimée au premier sizain (« Tous deux adoraient la belle / Prisonnière », vers 3 et 4) et au troisième (« Tous les deux étaient fidèles / Des lèvres du coeur des bras », vers 15 et 16), ainsi que dans les huitième et neuvième (« celle qu'aucun des deux ne trompa » vers 46, « A la terre qu'il aima » vers 52).

Ce patriotisme néglige les différences de chacun. Qu'on croit au ciel ou non, cela n'est pas important. Cette idée est largement scandée par le distique-refrain mais aussi reprise dans le deuxième sizain (« Qu'importe comment s'appelle / Cette clarté sur leurs pas / Que l'un fût de la chapelle / Et l'autre s'y dérobât »). Louis Aragon appelle au rassemblement de tous les Français dans ces temps terribles.

L'époque n'autorise pas les conflits internes. Le quatrième sizain le rappelle : « Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat / Fou qui songe à ses querelles / Au coeur du commun combat ». C'est une période de restrictions alimentaires, évoquées par les « blés sous la grêle », le blé représentant le pain donc la nourriture, confisquée par les armées allemandes et manquant pour la population française. Compte tenu de la situation, il faut songer seulement au « commun combat » (vers 24) ; « Un rebelle est un rebelle » (vers 39). Cela concerne tous les moyens de combattre et tous les résistants, qu'ils agissent à terre dans les maquis comme dans les airs pour les aviateurs, tous étant évoqués au vers 57 : « L'un court et l'autre a des ailes ». Ce texte s'adresse aussi à tous les Français, quelle que soit la région dans laquelle ils habitent, comme cela est indiqué au vers 58 : « De Bretagne ou du Jura », la Bretagne étant justement, par tradition, de forte obédience catholique. Les petites disputes n'ont plus lieu d'être. Elles doivent être dépassées ; communistes et catholiques ont le devoir de s'unir.

Le sort réservé à chacun est d'ailleurs le même. Communistes comme catholiques sont arrêtés, emprisonnés, torturés, fusillés. La dédicace faite lors de la publication de 1944 le rappelle justement. Et même si Louis Aragon n'a ajouté cette dédicace qu'après l'écriture de son poème, le résistant Gilbert Dru n'étant mort qu'en 1944 par exemple, l'auteur avait déjà en tête, en 1943, le souvenir de nombreux camarades résistants morts pour la France, qu'ils soient communistes ou catholiques, notamment d'Estienne d'Orves, Môquet et Péri.

Le poème indique également les terribles conditions de détention des prisonniers dans le sixième sizain « Ils sont en prison Lequel / A le plus triste grabat / Lequel plus que l'autre gèle / Lequel préfèrent les rats » (vers 33 à 36). Surtout, il n'hésite pas à parler de la réalité de la mort et rend hommage à tous ceux tombés pour la France dans ce combat commun. « La sentinelle tira / Par deux fois et l'un chancelle / L'autre tombe qui mourra » (vers 28-30) nous raconte l'atrocité des affrontements sur un ton léger, comme un conte, tel que nous l'avons montré auparavant avec l'allusion au Petit Chaperon Rouge. La mort est aussi présente dans les vers 40 à 42 : « Nos sanglots font un seul glas [le glas = la sonnerie des cloches pour célébrer un mot] / Et quand vient l'aube cruelle / Passent de vie à trépas [le trépas = la mort] ». Mais au moment de mourir, la dernière pensée des résistants est pour la France. Les futurs fusillés sont ainsi en train de répéter « le nom de celle / Qu'aucun des deux ne trompa », vers 45-46. Ils meurent pour la liberté de leur pays ; leur sang coule. Ce sang ne montre aucune différence entre « Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas ». Ainsi « leur sang rouge ruisselle / Même couleur même éclat » (vers 47-48) ; « Il coule il coule » vers 51.

Le texte n'est pas seulement un appel au rassemblement pour la liberté ni même seulement un hommage aux résistants emprisonnés et tombés pour la France ; il porte aussi l'espoir de jours meilleurs. Du sang des résistants morts, viendra germer la vie. Ce sang « se mêle / A la terre » (vers 51-52) « pour qu'à la saison nouvelle / Mûrisse un raisin muscat ». Il n'est donc pas inutilement versé. Et comme dans la mythologie, là où le sang coule, pousse une plante (là où meurt Narcisse, poussent des fleurs blanches qu'on appelle justement « narcisses »). Le raisin mûrira, on pourra donc de nouveau produire du vin et s'amuser. La joie fera suite à la douleur. De même, on dégustera des « framboises » et des « mirabelles » (vers 59). La paix, symbolisée par le « grillon » (vers 60), et le bonheur reviendront dans les foyers ; et le futur du verbe « rechantera » (vers 60) fait office de promesse.

Le dernier quatrain clôt le poème en guise de conclusion ou d'envoi (comme c'était souvent le cas dans la poésie médiévale) et reprend ce qui a dominé tout le texte, à savoir ce ton léger d'une chanson populaire anodine, l'idée d'opposition qu'il s'agit ici de dépasser et l'espoir d'un avenir triomphant. « L'alouette » peut rappeler en effet la comptine populaire (« Alouette, gentille Alouette / Alouette, je te plumerai... ») et la mention d'instruments de musique appelle à la fête. Les mots fonctionnent par ailleurs deux à deux : « flûte ou violoncelle » (vers 61), « l'alouette et l'hirondelle » (vers 63), « la rose et le réséda » (vers 64, comme le titre), reprenant une dernière fois la notion de duo aux éléments contraires pour mieux décupler le patriotisme en un « double amour ». Enfin l'espoir est incarné par « l'alouette », oiseau symbole de la naissance du jour, « l'hirondelle » symbole du printemps et du renouveau, et les fleurs (« la rose et le réséda »).

Un poème traditionnel et efficace

Ce poème ne présente pas de ponctuation, ce qui traduit peut-être l'urgence de dire et d'agir en cette période d'Occupation. A part cet élément, le texte semble très traditionnel. Composé en vers rimés, alternant de plus rime féminine suffisante en [el] et rime masculine pauvre en [a], il offre peu d'audaces stylistiques. A peine y a-t-il quelques effets comme le contre-rejet sans ponctuation au vers 33-34. On est donc loin d'une poésie innovante. Le but est, on le comprend, de se faire entendre par le plus grand nombre.

Informations complémentaires

Louis Aragon est né en 1897 et est mort en 1982. Au moment d'écrire ce poème, en 1943, il était donc âgé de 46 ans. Auparavant, il avait déjà combattu pendant la première guerre mondiale. Par conséquent, il connaît bien les horreurs de la guerre comme la solidarité entre soldats.

En 1918, âgé de 22 ans, il participa à la création du mouvement surréaliste avec André Breton (pour plus de précisions, voir la fiche Copiedouble « Le surréalisme »). Il s'affirma alors comme poète puis s'engagea dans des convictions politiques communistes. Pendant l'Occupation, il devint un poète de la résistance (voir la fiche Copiedouble « La poésie de la résistance ») et fut contraint de vivre dans la clandestinité. Publiant sous divers pseudonymes (François La Colère, Arnaud de Saint-Roman), il n'hésita pas alors à revenir à une poésie plus traditionnelle et rimée, s'éloignant de ses recherches stylistiques de sa période surréaliste, afin de délivrer un message fort, facilement compréhensible. En parallèle, il continua aussi d'écrire une poésie lyrique amoureuse pour la femme de sa vie : Elsa Triolet. C'est d'ailleurs ensemble que Louis Aragon et Elsa Triolet constituèrent le Comité National des Ecrivains pour la zone Sud en 1943.