VOUS TROUVEREZ CI-APRÈS UN EXEMPLE DE COMMENTAIRE COMPOSÉ RÉDIGÉ.

Il est composé d'une introduction, d'une première partie développée en 3 paragraphes, d'une transition, d'une seconde partie développée en 4 paragraphes et d'une conclusion.

Le texte étudié est traité pour un niveau de première technologique.
Il s'agit d'un passage très célèbre de Candide (Voltaire, 1759) ; l'extrait est souvent appelé "le nègre de Surinam".

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II – COMMENTAIRE COMPOSE

 

          Alors qu'il incarnait un absolutisme rigoureux, le roi Louis XIV meurt en 1715. Puis une régence se met en place jusqu'au couronnement de Louis XV et on assiste en France à un certain souffle de liberté. Des écrivains du XVIIIe siècle prennent ainsi position pour faire progresser la société peu à peu et la rendre plus juste. Parmi ces philosophes des Lumières, on peut citer par exemple Diderot et d'Alembert, Montesquieu, Rousseau, Beaumarchais et Voltaire. Ce dernier écrit Candide en 1759. L'extrait que nous étudions ici raconte la rencontre de Candide et son valet Cacambo avec un esclave, alors qu'ils approchent de la ville de Surinam. Comment ce texte parvient-il à dénoncer l'esclavage par le rire ? Nous verrons dans un premier temps comment Voltaire réussit à créer une scène amusante. Nous étudierons ensuite la portée critique de cet extrait.

 

          Ce texte montre une scène amusante. En effet, Voltaire utilise des personnages très différents, Candide et l'esclave, et ce contraste fait sourire le lecteur. Ainsi l'esclave est pauvre car il n'a qu'une « moitié de son habit » qui n'est qu'un « caleçon de toile » (lignes 1-2). Au contraire, Candide est d'un bon niveau social puisqu'il a un valet. D'autre part, l'esclave est « étendu par terre » (ligne 1), donc allongé au sol, et est mutilé. Il lui manque « la jambe gauche et la main droite ». (ligne 2) Au contraire, il est dit au début du texte que Candide et Cacambo approchent de la ville. Ils sont donc debout et en pleine forme physique. L'opposition physique est par conséquent évidente entre les personnages et crée un comique de situation. De plus, la mutilation de l'esclave montre une asymétrie, étant donné qu'il lui manque la jambe d'un côté, la main de l'autre. Ce procédé relève bien entendu de l'humour noir. Il constitue une image à la fois horrible à imaginer et amusante à cause de cette asymétrie.

          Par ailleurs, Voltaire cherche à faire sourire son lecteur en employant plusieurs procédés comiques. On voit par exemple que le maître de l'esclave s'appelle « M. Vanderdendur » (ligne 4), ce qui correspond à une sorte de « vendeur à la dent dure ». Ce comique de mots rend le maître ridicule. Il permet également à l'auteur d'insister sur la cruauté de cet homme qui a « la dent dure » et qui n'est donc pas sensible. Le texte est alors amusant et s'appuie sur un comique de mots doublé d'un comique de caractère. Il y a aussi un comique de répétition car l'esclave a été mutilé plusieurs fois. Cela apparaît aux lignes 6 et 7 avec une répétition de structure : « Quand nous travaillons aux sucreries […], on nous coupe... », « Quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe... ». Cette répétition de structure rend amusante cette situation terrible. Encore une fois, il s'agit là d'humour noir de la part de Voltaire.

          Enfin l'esclave a un comportement tellement étonnant qu'il en devient amusant. Malgré toutes les horreurs qu'il a vécues, il reste poli et calme alors qu'on pourrait s'attendre à une grande révolte de sa part. Cela se voit par exemple à la ligne 5 « c'est l'usage » quand il parle de ses conditions de vie. Ce présent de vérité générale dans « c'est l'usage » montre à quel point l'esclave est fataliste et accepte son sort. Il sait d'ailleurs que sa vie est misérable et l'exprime dans une énumération à la ligne 11 : « Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. » Ce recours à des animaux prouve que l'esclave est conscient de n'être pas considéré comme un humain. Pourtant son langage reste toujours soutenu et il demeure poli, vouvoyant Candide et l'appelant « monsieur » (ligne 5). Ce décalage entre les horreurs subies par l'esclave et son attitude très contrôlée fait sourire le lecteur.

 

          Nous avons vu ainsi que le texte présentait un aspect amusant. Cependant l'auteur ne cherche pas seulement à distraire son lecteur. Il veut également le faire réfléchir sur les hommes et la société.

 

          Ce texte comporte plusieurs critiques. Voltaire dénonce en effet l'esclavage dans cet extrait. Il nous montre un pauvre homme privé de liberté et mutilé de façon horrible. Le mot « horrible » est d'ailleurs répété ligne 3 et ligne 15, une fois par Candide, une fois par l'esclave. Le responsable direct des mutilations est le maître : « M. Vanderdendur ». C'est lui qui l'a « traité ainsi » (ligne 5). Voltaire critique donc les hommes qui exploitent les autres hommes sans comprendre qu'ils sont aussi des humains.

          De surcroît, au-delà du maître, ce sont tous ceux qui profitent de l'esclavage qui sont critiqués. En effet, en imaginant ce personnage du « nègre » de Surinam, l'auteur désirait que le lecteur prenne pitié de lui et qu'il réfléchisse sur sa propre attitude. Le philosophe dénonce ici l'indifférence des Européens. L'esclave le dit clairement aux lignes 7-8 : « C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. » La tournure « C'est... que » permet d'insister sur le lien logique de but. L'esclavage n'existe que dans un seul but : afin que des Européens puissent manger du sucre, et ce à un prix raisonnable. Par conséquent, les Européens pourraient changer cette situation. Ce texte doit les faire réfléchir.

          En outre, Voltaire critique les procédés qui sont employés au moment de recruter cette main d'oeuvre. La mère de l'esclave l'a ainsi vendu « dix écus » (ligne 6). On ne sait pas si Voltaire considère que cette mère n'a pas de coeur et ne pense qu'à l'argent car cette vente fait sa « fortune » (ligne 10) ou bien s'il pense qu'elle a été trop naïve et qu'elle croit réellement faire le bonheur de son « cher enfant » (9). La proposition « tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs » (ligne 9-10) comporte en tout cas une ironie évidente qui s'appuie sur une antiphrase : être esclave n'est pas un honneur mais un déshonneur. Toutes les personnes complices sont coupables et mises à mal par le texte de Voltaire.

          Enfin l'auteur critique les représentants de la religion chrétienne. En effet les « fétiches hollandais » qui ont « converti » l'esclave (ligne 12) sont coupables de tenir un discours qui n'est pas en adéquation avec la réalité. Ainsi « nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs » (ligne 13) signifie que l'esclavage n'est pas conforme à la religion chrétienne, « si ces prêcheurs disent vrai » (ligne 13). Voltaire oblige par ce moyen tous les chrétiens à se remettre en cause et à s'élever avec lui contre l'esclavage.

 

          Comme nous l'avons vu dans cet extrait de Candide, Voltaire utilise donc le rire pour dénoncer l'esclavage. Il distrait le lecteur mais ceci afin de mieux le faire réfléchir. Cette démarche est bien entendu typique de l'argumentation indirecte. Au XVIIe siècle, La Fontaine faisait déjà de même à travers ses fables. Aujourd'hui encore, les humoristes continuent de passer par le rire pour dénoncer les défauts des hommes et les travers de la société. Certaines réalités sont tellement difficiles à admettre et à faire évoluer que le meilleur moyen est sans doute d'avoir recours à l'humour, même à l'humour noir.