On étudie souvent la poésie lyrique et la poésie engagée.

Pour rappel, deux fiches sont d'ailleurs disponibles sur le site :

  • la poésie lyrique : lien ICI
  • la poésie engagée : lien ICI

Pourtant certains poèmes semblent relever d'aucune de ces deux catégories.

Ils traduisent autre chose : une volonté de jouer avec la langue et de regarder le monde « autrement » au-delà d'un caractère parfois « absurde » ou « gratuit ».

Un jeu avec le langage

Le poète peut avoir pour simple ambition de jouer avec les mots.

On trouve cette attitude par exemple chez des poètes du XVe-XVIe siècle qu'on appelait les Grands Rhétoriqueurs. Le même esprit habite également de nombreux poètes surréalistes ou post-surréalistes du XXe siècle.

Prenons par exemple ce poème de Jean Tardieu, Conjugaisons et interrogations au XXe siècle :

J’irai je n’irai pas j’irai je n’irai pas
Je reviendrai Est-ce que je reviendrai ?
Je reviendrai Je ne reviendrai pas

Pourtant je partirai (serais-je déjà parti ?)
Parti reviendrai-je ?
Et si je partais ? Et si je ne partais pas ?Et si je ne revenais pas ?

Elle est partie, elle ! Elle est bien partie. Elle ne revient pas
Est-ce qu’elle reviendra ? je ne crois pas
Je ne crois pas qu’elle revienne
Toi, tu es là Est-ce que tu es là ? Quelquefois tu n’es pas là

Ils s’en vont, eux. Ils vont ils viennent
Ils partent ils ne partent pas
Ils reviennent ils ne reviennent plus

Si je partais, est-ce qu’ils reviendraient ?
Si je restais, est-ce qu’ils partiraient ?
Si je pars, est-ce que tu pars ?
Est-ce que nous allons partir ?
Est-ce que nous allons rester ?
Est-ce que nous allons partir ?

Ce poème joue avec les conjugaisons mais aussi avec les formes affirmatives, les formes négatives et les formes interrogatives. La fonction du poème semble ici purement ludique.

Toutefois le lecteur peut avoir envie de donner du sens à ce texte : il s'interroge alors à propos du champ lexical du départ, qui pourrait évoquer la disparition voire même la mort. De même, l'absence de référents pour les pronoms laisse l'interprétation très libre. Est-ce que le « nous » désigne l'Homme ? Le jeu sur les conjugaisons est-il une allusion à l'enfance qui s'en va, aux personnes de notre enfance qui nous quittent pour la vieillesse et la mort ? Ainsi, le poème ici pourrait être considéré, dans une certaine mesure, comme un poème lyrique original.

La fonction de la poésie est ici avant tout de questionner les limites du langage et de jouer avec lui. Autre fonction possible : renouveler une certaine forme de poésie lyrique.

Lisons désormais un autre exemple : un extrait du poème Chanson de Galathée, bergère, composé par Jean Le Maire de Belges.

Gentes bergerettes,
Parlant d'amourettes
Dessous les coudrettes
Jeunes et tendrettes,
Cueillent fleurs jolies :
Framboises, mûrettes,
Pommes et poirettes
Rondes et durettes,
Fleurons et fleurettes
Sans mélancolie.

Le poète semble ici à prendre plus de plaisir à jouer avec les sonorités des mots et avec le langage qu'à chercher réellement à exprimer des sentiments. Plutôt qu'une poésie lyrique, on a ici une poésie ludique.

Un regard sur le monde

Le poète peut aussi viser à interroger le monde non seulement en jouant avec les mots et le langage mais aussi à travers la création d'images audacieuses.

Lisons par exemple cet extrait du poème « La Terre est bleue comme une orange » de Paul Eluard :

Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles

Le poème est difficile à comprendre, précisément parce que le poète ne cherche pas à exprimer de sentiments précis mais plutôt à créer une ouverture d'esprit chez le lecteur. Face à ce qui le surprend, le lecteur d'un poème cherche en effet toujours à construire du sens. Les associations saugrenues proposées ici, comme le « collier de fenêtre » vont donc l'obliger à essayer d'imaginer à quoi cela pourrait correspondre et ainsi à poser un nouveau regard sur le monde.

 

Fiche rédigée par un professeur agrégé de Lettres pour Copiedouble – Copyright 2015.